Victor HUGO (1802-1885)

Victor HUGO (1802-1885)

Si quelqu’un a fait couler beaucoup d’encre en composant ses poésies, c’est sûrement Victor Hugo qui était capable dit-on de composer 500 alexandrins pour l’anniversaire de sa mère ! Sa très grande facilité d’écriture a été mise à profit aussi bien dans ses œuvres en prose que dans ses poésies. Engagé politiquement contre l’empereur Napoléon III avec Les Châtiments, il aussi acquis la célébrité avec ses Odes et Ballades. Il faut encore citer ses fameux romans Notre Dame de Paris dont les personnages comme Esméralda et Quasimodo, ou Cosette et Gavroche dans l’autre roman Les Misérables sont connus du monde entier.

Booz endormi, La Légende des siècles

« (.) Mais, vieux, on tremble ainsi qu'à l'hiver le bouleau.

Je suis veuf, je suis seul, et sur moi le soir tombe,

Et je courbe, ô mon Dieu ! mon âme vers la tombe,

Comme un bœuf ayant soif penche son front vers l'eau. »

Ainsi parlait Booz dans le rêve et l'extase,

Tournant vers Dieu ses yeux par le sommeil noyés ;

Le cèdre ne sent pas une rose a sa base,

Et lui ne sentait pas une femme à ses pieds.

Pendant qu'il sommeillait, Ruth, une Moabite,

S'était couchée aux pieds de Booz, le sein nu,

Espérant on ne sait quel rayon inconnu,

Quand viendrait du réveil la lumière subite.

 Booz ne savait point qu'une femme était là,

Et Ruth ne savait point ce que Dieu voulait d'elle ;

Un frais parfum sortait des touffes d'asphodèle ;

Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala.

 L'ombre était nuptiale, auguste et solennelle ;

Les anges y volaient sans doute obscurément,

Car on voyait passer dans la nuit, par moment,

Quelque chose de bleu qui paraissait une aile.

 La respiration de Booz qui dormait

Se mêlait au bruit sourd des ruisseaux sur la mousse.

On était dans le mois où la nature est douce,

Les collines ayant des lys sur leur sommet.

 Ruth songeait et Booz dormait ; l'herbe était noire ;

Les grelots des troupeaux palpitaient vaguement,

Une immense bonté tombait du firmament ;

C'était l'heure tranquille où les lions vont boire.

 Tout reposait dans Ur et dans Jerimadeth ;

Les astres émaillaient le ciel profond et sombre ;

Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l'ombre

Brillait à l'occident, et Ruth se demandait,

Immobile, ouvrant l'œil à moitié sous ses voiles,

Quel dieu, quel moissonneur de l'éternel été,

Avait, en s'en allant, négligemment jeté

Cette faucille d'or dans le champ des étoiles.

https://fr.wikisource.org/wiki/La_Légende_des_siècles/Booz_endormi

Pourquoi j’ai choisi ce texte ?

Dans La Légende des siècles, Victor Hugo nous montre un vieil agriculteur qui, inspiré par Dieu, laisse par bonté de pauvres femmes ramasser les épis abandonnés dans ses champs et, par miracle, redécouvre l’amour avec l’une d’elles.

Demain dès l'aube, Les contemplations

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,

Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.

J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.

Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,

Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,

Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,

Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe

Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

https://www.poetica.fr/poeme-63/victor-hugo-demain-des-l-aube/

Pourquoi j’ai choisi ce texte ?

L’âge mur de Victor Hugo sera attristé pat la mort de sa fille Léopoldine, noyée accidentellement avec son mari dans la Seine et en mémoire de qui il a composé cette touchante poésie.

Où donc est le bonheur ? disais-je. (28 mai 1830), Les Feuilles d’automne (1831)

Où donc est le bonheur ? disais-je. - Infortuné !

Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l'avez donné.

Naître, et ne pas savoir que l'enfance éphémère,

Ruisseau de lait qui fuit sans une goutte amère,

Est l'âge du bonheur, et le plus beau moment

Que l'homme, ombre qui passe, ait sous le firmament !

Plus tard, aimer, - garder dans son cœur de jeune homme

Un nom mystérieux que jamais on ne nomme

Glisser un mot furtif dans une tendre main,

Aspirer aux douceurs d'un ineffable hymen,

Envier l'eau qui fuit, le nuage qui vole,

Sentir son cœur se fondre au son d'une parole,

Connaître un pas qu'on aime et que jaloux on suit,

Rêver le jour, brûler et se tordre la nuit,

Pleurer surtout cet âge où sommeillent les âmes,

Toujours souffrir ; parmi tous les regards de femmes,

Tous les buissons d'avril, les feux du ciel vermeil,

Ne chercher qu'un regard, qu'une fleur, qu'un soleil !

Puis effeuiller en hâte et d'une main jalouse

Les boutons d'orangers sur le front de l'épouse ;

Tout sentir, être heureux, et pourtant, insensé

Se tourner presque en pleurs vers le malheur passé ;

Voir aux feux de midi, sans espoir qu'il renaisse,

Se faner son printemps, son matin, sa jeunesse,

Perdre l'illusion, l'espérance, et sentir

Qu'on vieillit au fardeau croissant du repentir,

Effacer de son front des taches et des rides ;

S'éprendre d'art, de vers, de voyages arides,

De cieux lointains, de mers où s'égarent nos pas ;

Redemander cet âge où l'on ne dormait pas ;

Se dire qu'on était bien malheureux, bien triste,

Bien fou, que maintenant on respire, on existe,

Et, plus vieux de dix ans, s'enfermer tout un jour

Pour relire avec pleurs quelques lettres d'amour !

Vieillir enfin, vieillir ! comme des fleurs fanées

Voir blanchir nos cheveux et tomber nos années,

Rappeler notre enfance et nos beaux jours flétris,

Boire le reste amer de ces parfums aigris,

Être sage, et railler l'amant et le poète,

Et, lorsque nous touchons à la tombe muette,

Suivre en les rappelant d'un œil mouillé de pleurs

Nos enfants qui déjà sont tournés vers les leurs !

Ainsi l'homme, ô mon Dieu ! marche toujours plus sombre

Du berceau qui rayonne au sépulcre plein d'ombre.

C'est donc avoir vécu ! c'est donc avoir été !

Dans la joie et l'amour et la félicité

C'est avoir eu sa part ! et se plaindre est folie.

Voilà de quel nectar la coupe était remplie !

Hélas ! naître pour vivre en désirant la mort !

Grandir en regrettant l'enfance où le cœur dort,

Vieillir en regrettant la jeunesse ravie,

Mourir en regrettant la vieillesse et la vie !

Où donc est le bonheur, disais-je ? - Infortuné !

Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l'avez donné !

Pourquoi j’ai choisi ce poème ?

Ce poème que j’intitulerai volontiers Les Âges de la vie nous rappelle Ronsard et son poème célèbre : « Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie ».

Laissez tous ces enfants sont bien là (11 mai 1830)

Laissez. – Tous ces enfants sont bien là. – Qui vous dit

Que la bulle d'azur que mon souffle agrandit

À leur souffle indiscret s'écroule ?

Qui vous dit que leurs voix, leurs pas, leurs jeux, leurs cris,

Effarouchent la muse et chassent les péris ?...

  • Venez, enfants, venez en foule !

Venez autour de moi. Riez, chantez, courez !

Votre œil me jettera quelques rayons dorés,

Votre voix charmera mes heures.

C'est la seule en ce monde où rien ne nous sourit

Qui vienne du dehors sans troubler dans l'esprit

Le chœur des voix intérieures !

Fâcheux : qui les vouliez écarter ! – Croyez-vous

Que notre cœur n'est pas plus serein et plus doux

Au sortir de leurs jeunes rondes ?

Croyez-vous que j'ai peur quand je vois au milieu

De mes rêves rougis ou de sang ou de feu

Passer toutes ces têtes blondes ?

La vie est-elle donc si charmante à vos yeux

Qu'il faille préférer à tout ce bruit joyeux

Une maison vide et muette ?

N'ôtez pas, la pitié même vous le défend,

Un rayon de soleil, un sourire d'enfant,

Au ciel sombre, au cœur du poète !

– Mais ils s'effaceront à leurs bruyants ébats

Ces mots sacrés que dit une muse tout bas,

Ces chants purs d'où l'âme se noie ?... –

Eh ! que m'importe à moi, muse, chants, vanité,

Votre gloire perdue et l'immortalité,

Si j'y gagne une heure de joie !

La belle ambition et le rare destin !

Chanter ! toujours chanter pour un écho lointain,

Pour un vain bruit qui passe et tombe !

Vivre abreuvé de fiel, d'amertume et d'ennuis !

Expier dans ses jours les rêves de ses nuits !

Faire un avenir à sa tombe !

Oh ! que j'aime bien mieux ma joie et mon plaisir,

Et toute ma famille avec tout mon loisir,

Dût la gloire ingrate et frivole,

Dussent mes vers, troublés de ces ris familiers,

S'enfuir, comme devant un essaim d'écoliers

Une troupe d'oiseaux s'envole !

Mais non. Au milieu d'eux rien ne s'évanouit.

L'orientale d'or plus riche épanouit

Ses fleurs peintes et ciselées,

La ballade est plus fraîche, et dans le ciel grondant

L'ode ne pousse pas d'un souffle moins ardent

Le groupe des strophes ailées.

Je les vois reverdir dans leurs jeux éclatants,

Mes hymnes, parfumés comme un champ de printemps.

Ô vous, dont l'âme est épuisée,

Ô mes amis ! l'enfance aux riantes couleurs

Donne la poésie à nos vers, comme aux fleurs

L'aurore donne la rosée.

Venez, enfants ! – A vous jardins, cours, escaliers !

Ébranlez et planchers, et plafonds, et piliers !

Que le jour s'achève ou renaisse,

Courez et bourdonnez comme l'abeille aux champs !

Ma joie et mon bonheur et mon âme et mes chants

Iront ou vous irez, jeunesse !

Il est pour les cœurs sourds aux vulgaires clameurs

D'harmonieuses voix, des accords, des rumeurs,

Qu'on n'entend que dans les retraites,

Notes d'un grand concert interrompu souvent,

Vents, flots, feuilles des bois, bruits dont l'âme en rêvant

Se fait des musiques secrètes.

Moi, quel que soit le monde et l'homme et l'avenir,

Soit qu'il faille oublier ou se ressouvenir,

Que Dieu m'afflige ou me console,

Je ne veux habiter la cité des vivants

Que dans une maison qu'une rumeur d'enfants

Fasse toujours vivante et folle. […]

Pourquoi j’ai choisi ce poème ?

Pour l’affection qu’exprime le poète envers ses petits-enfants.

Qui sont les enfants que nous aimons le plus ?

Nos petits-enfants, dit le proverbe oriental.

Car ils nous rappellent le beau vieux temps et notre jeunesse ; à travers eux/en eux nous voyons nos propres enfants : leur visage, leur sourire, leurs cris, leurs larmes, leurs chants, leur joie, leur chagrin, leurs jeux, leurs bêtises,

Même débordé qu’il était, Hugo ne se privait pas de voir les enfants autour de lui ; loin de l’importuner, ils lui apportaient une touche de bonheur et un grain d’espoir, la vie dans sa solitude … lui qui sera fatigué par le poids de l’âge et les misères du monde, lui qui écrira, en 1877, « L’Art d’être grand-père ».

Et l’on ne peut que se rappeler la douleur profonde qu’exprimera le poète,13 ans plus tard, dans son poème (Demain, dès l’aube…, le 3 septembre 1847) s’adressant à sa fille Léopoldine, noyée accidentellement dans la Seine, à Honfleur. (Voir les deux poèmes suivants des « Contemplations », (Z.C)

Claude Gueux (1834)

Novembre, décembre, janvier et février se passèrent en soins et en préparatifs. Médecins et juges s’empressaient autour de Claude. Les uns guérissaient ses blessures, les autres dressaient son échafaud.

Abrégeons. Le 16 mars 1832, il parut, étant parfaitement guéri, devant la cour d’assises de Troyes. Tout ce que la ville peut donner de foule était là.

Claude eut une bonne attitude devant la cour. Il s’était fait raser avec soin, il avait la tête nue, il portait ce morne habit des prisonniers de Clairvaux, mi-parti de deux espèces de gris.

Le procureur du roi avait encombré la salle de baïonnettes, « afin, dit-il à l’audience, de contenir tous les scélérats qui devaient figurer comme témoins dans cette affaire ».

Lorsqu’il fallut entamer les débats, il se présenta une difficulté singulière. Aucun des témoins des événements du 4 novembre ne voulait déposer contre Claude. Le président les menaça de son pouvoir discrétionnaire. Ce fut en vain. Claude alors leur commanda de déposer. Toutes les langues se délièrent. Ils dirent ce qu’ils avaient vu.

Claude les écoutait tous avec une profonde attention. Quand l’un d’eux, par oubli, ou par affection pour Claude, omettait des faits à la charge de l’accusé, Claude les rétablissait.

De témoignage en témoignage, la série des faits que nous venons de développer se déroula devant la cour.

Il y eut un moment où les femmes qui étaient là pleurèrent. L’huissier appela le condamné Albin. C’était son tour de déposer. Il entra en chancelant. Il sanglotait. Les gendarmes ne purent empêcher qu’il n’allât tomber dans les bras de Claude. Claude le soutint et dit en souriant au procureur du roi : — Voilà un scélérat qui partage son pain avec ceux qui ont faim. — Puis il baisa la main d’Albin.

La liste des témoins épuisée, monsieur le procureur du roi se leva et prit la parole en ces termes : — Messieurs les jurés, la société serait ébranlée jusque dans ses fondements, si la vindicte publique n’atteignait pas les grands coupables comme celui qui, etc.

Après ce discours mémorable, l’avocat de Claude parla. La plaidoirie contre et la plaidoirie pour firent, chacune à leur tour, les évolutions qu’elles ont coutume de faire dans cette espèce d’hippodrome qu’on appelle un procès criminel.

Claude jugea que tout n’était pas dit. Il se leva à son tour. Il parla de telle sorte qu’une personne intelligente qui assistait à cette audience s’en revint frappée d’étonnement. Il paraît que ce pauvre ouvrier contenait bien plutôt un orateur qu’un assassin. Il parla debout, avec une voix pénétrante et bien ménagée, avec un œil clair, honnête et résolu, avec un geste presque toujours le même, mais plein d’empire. Il dit les choses comme elles étaient, simplement, sérieusement, sans charger ni amoindrir, convint de tout, regarda l’article 296 en face, et posa sa tête dessous. Il eut des moments de véritable haute éloquence qui faisaient remuer la foule, et où l’on se répétait à l’oreille dans l’auditoire ce qu’il venait de dire. Cela faisait un murmure pendant lequel Claude reprenait haleine en jetant un regard fier sur les assistants. Dans d’autres instants, cet homme qui ne savait pas lire était doux, poli, choisi, comme un lettré ; puis, par moments encore, modeste, mesuré, attentif, marchant pas à pas dans la partie irritante de la discussion, bienveillant pour les juges. Une fois seulement, il se laissa aller à une secousse de colère. Le procureur du roi avait établi dans le discours que nous avons cité en entier que Claude Gueux avait assassiné le directeur des ateliers sans voie de fait ni violence de la part du directeur, par conséquent sans provocation.

— Quoi ! s’écria Claude, je n’ai pas été provoqué ! Ah ! oui, vraiment, c’est juste. Je vous comprends. Un homme ivre me donne un coup de poing, je le tue, j’ai été provoqué, vous me faites grâce, vous m’envoyez aux galères. Mais un homme qui n’est pas ivre et qui a toute sa raison me comprime le cœur pendant quatre ans, m’humilie pendant quatre ans, me pique tous les jours, toutes les heures, toutes les minutes, d’un coup d’épingle à quelque place inattendue pendant quatre ans ! J’avais une femme pour qui j’ai volé, il me torture avec cette femme ; j’avais un enfant pour qui j’ai volé, il me torture avec cet enfant ; je n’ai pas assez de pain, un ami m’en donne, il m’ôte mon ami et mon pain. Je redemande mon ami, il me met au cachot. Je lui dis vous, à lui mouchard, il me dit tu. Je lui dis que je souffre, il me dit que je l’ennuie. Alors que voulez-vous que je fasse ? Je le tue. C’est bien. Je suis un monstre, j’ai tué cet homme, je n’ai pas été provoqué, vous me coupez la tête. Faites ! —

Mouvement sublime, selon nous, qui faisait tout à coup surgir, au-dessus du système de provocation matérielle, sur lequel s’appuie l’échelle mal proportionnée des circonstances atténuantes, toute une théorie de la provocation morale oubliée par la loi.

Les débats fermés, le président fit son résumé impartial et lumineux. Il en résulta ceci. Une vilaine vie. Un monstre en effet. Claude Gueux avait commencé par vivre en concubinage avec une fille publique, puis il avait volé, puis il avait tué. Tout cela était vrai.

Au moment d’envoyer les jurés dans leur chambre, le président demanda à l’accusé s’il avait quelque chose à dire sur la position des questions.

— Peu de chose, dit Claude. Voici, pourtant. Je suis un voleur et un assassin. J’ai volé et tué. Mais pourquoi ai-je volé ? pourquoi ai-je tué ? Posez ces deux questions à côté des autres, messieurs les jurés.

Après un quart d’heure de délibération, sur la déclaration des douze champenois qu’on appelait messieurs les jurés, Claude Gueux fut condamné à mort.

Il est certain que, dès l’ouverture des débats, plusieurs d’entre eux avaient remarqué que l’accusé s’appelait Gueux, ce qui leur avait fait une impression profonde.

On lut son arrêt à Claude, qui se contenta de dire :

— C’est bien. Mais pourquoi cet homme a-t-il volé ? Pourquoi cet homme a-t-il tué ? Voilà deux questions auxquelles ils ne répondent pas.

Pourquoi j’ai choisi ce texte ?

Parce qu’il est puissant, parce qu’il est poignant.

C’est un plaidoyer contre une société brutale et contre la peine de mort !

Un homme qu’on traite de criminel se soulève contre la société injuste qui l’a condamné alors qu’elle est la source de ses malheurs. Il se défend, lui l’illettré, avec beaucoup d’éloquence devant des juges et des jurés impassibles et, aux questions qu’il leur a posées « Pourquoi a-t-il volé ? Pourquoi a-t-il tué ? », il ne reçoit aucune réponse…

D’ailleurs, fier qu’il est, il déclinera l’aide des autres prisonniers, refusant les outils qu’on lui a présentés pour s’enfuir.

Et, la tête haute, il va avancer vers la guillotine. (Z.C)

À VILLEQUIER (4 septembre 1847), Les Contemplations

[…]

Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire ;

Je vous porte, apaisé,

Les morceaux de ce cœur tout plein de votre gloire

Que vous avez brisé ;

Je viens à vous, Seigneur ! confessant que vous êtes

Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant !

Je conviens que vous seul savez ce que vous faites,

Et que l’homme n’est rien qu’un jonc qui tremble au vent ;

Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme

Ouvre le firmament ;

Et que ce qu’ici-bas nous prenons pour le terme

Est le commencement ;

Je conviens à genoux que vous seul, père auguste,

Possédez l’infini, le réel, l’absolu ;

Je conviens qu’il est bon, je conviens qu’il est juste

Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l’a voulu !

Je ne résiste plus à tout ce qui m’arrive

Par votre volonté.

L’âme de deuils en deuils, l’homme de rive en rive,

Roule à l’éternité.

Nous ne voyons jamais qu’un seul côté des choses ;

L’autre plonge en la nuit d’un mystère effrayant.

L’homme subit le joug sans connaître les causes.

Tout ce qu’il voit est court, inutile et fuyant.

Aujourd’hui, moi qui fus faible comme une mère,

Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts.

Je me sens éclairé dans ma douleur amère

Par un meilleur regard jeté sur l’univers.

Seigneur, je reconnais que l’homme est en délire

S’il ose murmurer ;

Je cesse d’accuser, je cesse de maudire,

Mais laissez-moi pleurer !

Hélas ! laissez les pleurs couler de ma paupière,

Puisque vous avez fait les hommes pour cela !

Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre

Et dire à mon enfant : Sens-tu que je suis là ?

Laissez-moi lui parler, incliné sur ses restes,

Le soir, quand tout se tait,

Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux célestes,

Cet ange m’écoutait !

Hélas ! vers le passé tournant un œil d’envie,

Sans que rien ici-bas puisse m’en consoler,

Je regarde toujours ce moment de ma vie

Où je l’ai vue ouvrir son aile et s’envoler !

Je verrai cet instant jusqu’à ce que je meure,

L’instant, pleurs superflus !

Où je criai : L’enfant que j’avais tout à l’heure,

Quoi donc ! je ne l’ai plus !

Ne vous irritez pas que je sois de la sorte,

Ô mon Dieu ! cette plaie a si longtemps saigné !

L’angoisse dans mon âme est toujours la plus forte,

Et mon cœur est soumis, mais n’est pas résigné.

Ne vous irritez pas ! fronts que le deuil réclame,

Mortels sujets aux pleurs,

Il nous est malaisé de retirer notre âme

De ces grandes douleurs.

Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nécessaires,

Seigneur ; quand on a vu dans sa vie, un matin,

Au milieu des ennuis, des peines, des misères,

Et de l’ombre que fait sur nous notre destin,

Apparaître un enfant, tête chère et sacrée,

Petit être joyeux,

Si beau, qu’on a cru voir s’ouvrir à son entrée

Une porte des cieux ;

Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même

Croître la grâce aimable et la douce raison,

Lorsqu’on a reconnu que cet enfant qu’on aime

Fait le jour dans notre âme et dans notre maison,

Que c’est la seule joie ici-bas qui persiste

De tout ce qu’on rêva,

Considérez que c’est une chose bien triste

De le voir qui s’en va !

Les pauvres gens, La Légende des siècles, 1859

I

Il est nuit. La cabane est pauvre, mais bien close.

Le logis est plein d’ombre, et l’on sent quelque chose

Qui rayonne à travers ce crépuscule obscur.

Des filets de pêcheur sont accrochés au mur.

Au fond, dans l’encoignure où quelque humble vaisselle

Aux planches d’un bahut vaguement étincelle,

On distingue un grand lit aux longs rideaux tombants.

Tout près, un matelas s’étend sur de vieux bancs,

Et cinq petits-enfants, nid d’âmes, y sommeillent.

La haute cheminée où quelques flammes veillent

Rougit le plafond sombre, et, le front sur le lit,

Une femme à genoux prie, et songe, et pâlit.

C’est la mère. Elle est seule. Et dehors, blanc d’écume,

Au ciel, aux vents, aux rocs, à la nuit, à la brume,

Le sinistre Océan jette son noir sanglot.

II

L’homme est en mer. Depuis l’enfance matelot,

Il livre au hasard sombre une rude bataille.

Pluie ou bourrasque, il faut qu’il sorte, il faut qu’il aille,

Car les petits enfants ont faim. Il part le soir

Quand l’eau profonde monte aux marches du musoir.

Il gouverne à lui seul sa barque à quatre voiles.

La femme est au logis, cousant les vieilles toiles,

Remmaillant les filets, préparant l’hameçon,

Surveillant l’âtre où bout la soupe de poisson,

Puis priant Dieu sitôt que les cinq enfants dorment.

Lui, seul, battu des flots qui toujours se reforment,

Il s’en va dans l’abîme et s’en va dans la nuit.

Dur labeur ! tout est noir, tout est froid ; rien ne luit.

Dans les brisants, parmi les lames en démence,

L’endroit bon à la pêche, et, sur la mer immense,

Le lieu mobile, obscur, capricieux, changeant,

Où se plaît le poisson aux nageoires d’argent,

Ce n’est qu’un point ; c’est grand deux fois comme la chambre.

Or, la nuit, dans l’ondée et la brume, en décembre,

Pour rencontrer ce point sur le désert mouvant,

Comme il faut calculer la marée et le vent !

Comme il faut combiner sûrement les manœuvres !

Les flots le long du bord glissent, vertes couleuvres ;

Le gouffre roule et tord ses plis démesurés

Et fait râler d’horreur les agrès effarés.

Lui, songe à sa Jeannie au sein des mers glacées,

Et Jeannie en pleurant l’appelle ; et leurs pensées

Se croisent dans la nuit, divins oiseaux du cœur.

III

Elle prie, et la mauve au cri rauque et moqueur

L’importune, et, parmi les écueils en décombres,

L’Océan l’épouvante, et toutes sortes d’ombres

Passent dans son esprit : la mer, les matelots

Emportés à travers la colère des flots.

Et dans sa gaine, ainsi que le sang dans l’artère,

La froide horloge bat, jetant dans le mystère,

Goutte à goutte, le temps, saisons, printemps, hivers ;

Et chaque battement, dans l’énorme univers,

Ouvre aux âmes, essaims d’autours et de colombes,

D’un côté les berceaux et de l’autre les tombes.

Elle songe, elle rêve, — et tant de pauvreté !

Ses petits vont pieds nus l’hiver comme l’été.

Pas de pain de froment. On mange du pain d’orge.

— Ô Dieu ! le vent rugit comme un soufflet de forge,

La côte fait le bruit d’une enclume, on croit voir

Les constellations fuir dans l’ouragan noir

Comme les tourbillons d’étincelles de l’âtre.

C’est l’heure où, gai danseur, minuit rit et folâtre

Sous le loup de satin qu’illuminent ses yeux,

Et c’est l’heure où minuit, brigand mystérieux,

Voilé d’ombre et de pluie et le front dans la bise,

Prend un pauvre marin frissonnant et le brise

Aux rochers monstrueux apparus brusquement. —

Horreur ! l’homme, dont l’onde éteint le hurlement,

Sent fondre et s’enfoncer le bâtiment qui plonge ;

Il sent s’ouvrir sous lui l’ombre et l’abîme, et songe

Au vieil anneau de fer du quai plein de soleil !

Ces mornes visions troublent son cœur, pareil

À la nuit. Elle tremble et pleure.

IV

Ô pauvres femmes

De pêcheurs ! c’est affreux de se dire : « Mes âmes,

Père, amant, frères, fils, tout ce que j’ai de cher,

C’est là, dans ce chaos ! — mon cœur, mon sang, ma chair ! »

Ciel ! être en proie aux flots, c’est être en proie aux bêtes.

Oh ! songer que l’eau joue avec toutes ces têtes,

Depuis le mousse enfant jusqu’au mari patron,

Et que le vent hagard, soufflant dans son clairon,

Dénoue au-dessus d’eux sa longue et folle tresse,

Et que peut-être ils sont à cette heure en détresse,

Et qu’on ne sait jamais au juste ce qu’ils font,

Et que, pour tenir tête à cette mer sans fond,

À tous ces gouffres d’ombre où ne luit nulle étoile,

Ils n’ont qu’un bout de planche avec un bout de toile !

Souci lugubre ! on court à travers les galets,

Le flot monte, on lui parle, on crie : « Oh ! rends-nous-les ! »

Mais, hélas ! que veut-on que dise à la pensée

Toujours sombre, la mer toujours bouleversée !

Jeannie est bien plus triste encor. Son homme est seul !

Seul dans cette âpre nuit ! seul sous ce noir linceul !

Pas d’aide. Ses enfants sont trop petits. — Ô mère !

Tu dis : « S’ils étaient grands ! — leur père est seul ! » Chimère !

Plus tard, quand ils seront près du père, et partis,

Tu diras en pleurant : « Oh ! s’ils étaient petits ! »

V

Elle prend sa lanterne et sa cape. — C’est l’heure

D’aller voir s’il revient, si la mer est meilleure,

S’il fait jour, si la flamme est au mât du signal.

Allons ! — Et la voilà qui part. L’air matinal

Ne souffle pas encor. Rien. Pas de ligne blanche

Dans l’espace où le flot des ténèbres s’épanche.

Il pleut. Rien n’est plus noir que la pluie au matin ;

On dirait que le jour tremble et doute, incertain,

Et qu’ainsi que l’enfant, l’aube pleure de naître.

Elle va. L’on ne voit luire aucune fenêtre.

Tout à coup, à ses yeux qui cherchent le chemin,

Avec je ne sais quoi de lugubre et d’humain

Une sombre masure apparaît décrépite ;

Ni lumière, ni feu ; la porte au vent palpite ;

Sur les murs vermoulus branle un toit hasardeux ;

La bise sur ce toit tord des chaumes hideux,

Jaunes, sales, pareils aux grosses eaux d’un fleuve.

« Tiens, je ne pensais plus à cette pauvre veuve,

Dit-elle ; mon mari, l’autre jour, la trouva

Malade et seule ; il faut voir comment elle va. »

Elle frappe à la porte, elle écoute ; personne

Ne répond. Et Jeannie au vent de mer frissonne.

« Malade ! et ses enfants ! comme c’est mal nourri !

Elle n’en a que deux, mais elle est sans mari. »

Puis, elle frappe encore. « Hé ! voisine ! » elle appelle.

Et la maison se tait toujours. « Ah ! Dieu ! dit-elle,

Comme elle dort, qu’il faut l’appeler si longtemps ! »

La porte, cette fois, comme si, par instants,

Les objets étaient pris d’une pitié suprême,

Morne, tourna dans l’ombre et s’ouvrit d’elle-même.

VI

Elle entra. Sa lanterne éclaira le dedans

Du noir logis muet au bord des flots grondants.

L’eau tombait du plafond comme des trous d’un crible.

Au fond était couchée une forme terrible ;

Une femme immobile et renversée, ayant

Les pieds nus, le regard obscur, l’air effrayant ;

Un cadavre ; — autrefois, mère joyeuse et forte ; —

Le spectre échevelé de la misère morte ;

Ce qui reste du pauvre après un long combat.

Elle laissait, parmi la paille du grabat,

Son bras livide et froid et sa main déjà verte

Pendre, et l’horreur sortait de cette bouche ouverte

D’où l’âme en s’enfuyant, sinistre, avait jeté

Ce grand cri de la mort qu’entend l’éternité !

Près du lit où gisait la mère de famille,

Deux tout petits enfants, le garçon et la fille,

Dans le même berceau souriaient endormis.

La mère, se sentant mourir, leur avait mis

Sa mante sur les pieds et sur le corps sa robe,

Afin que, dans cette ombre où la mort nous dérobe,

Ils ne sentissent plus la tiédeur qui décroît,

Et pour qu’ils eussent chaud pendant qu’elle aurait froid.

VII

Comme ils dorment tous deux dans le berceau qui tremble !

Leur haleine est paisible et leur front calme. Il semble

Que rien n’éveillerait ces orphelins dormant,

Pas même le clairon du dernier jugement ;

Car, étant innocents, ils n’ont pas peur du juge.

Et la pluie au dehors gronde comme un déluge.

Du vieux toit crevassé, d’où la rafale sort,

Une goutte parfois tombe sur ce front mort,

Glisse sur cette joue et devient une larme.

La vague sonne ainsi qu’une cloche d’alarme.

La morte écoute l’ombre avec stupidité.

Car le corps, quand l’esprit radieux l’a quitté,

A l’air de chercher l’âme et de rappeler l’ange ;

Il semble qu’on entend ce dialogue étrange

Entre la bouche pâle et l’œil triste et hagard :

« Qu’as-tu fait de ton souffle ? — Et toi, de ton regard ? »

Hélas ! aimez, vivez, cueillez les primevères,

Dansez, riez, brûlez vos cœurs, videz vos verres.

Comme au sombre Océan arrive tout ruisseau,

Le sort donne pour but au festin, au berceau,

Aux mères adorant l’enfance épanouie,

Aux baisers de la chair dont l’âme est éblouie,

Aux chansons, au sourire, à l’amour frais et beau,

Le refroidissement lugubre du tombeau !

VIII

Qu’est-ce donc que Jeannie a fait chez cette morte ?

Sous sa cape aux longs plis qu’est-ce donc qu’elle emporte ?

Qu’est-ce donc que Jeannie emporte en s’en allant ?

Pourquoi son cœur bat-il ? Pourquoi son pas tremblant

Se hâte-t-il ainsi ? D’où vient qu’en la ruelle

Elle court, sans oser regarder derrière elle ?

Qu’est-ce donc qu’elle cache avec un air troublé

Dans l’ombre, sur son lit ? Qu’a-t-elle donc volé ?

IX

Quand elle fut rentrée au logis, la falaise

Blanchissait ; près du lit elle prit une chaise

Et s’assit toute pâle ; on eût dit qu’elle avait

Un remords, et son front tomba sur le chevet,

Et, par instants, à mots entrecoupés, sa bouche

Parlait, pendant qu’au loin grondait la mer farouche.

« — Mon pauvre homme ! Ah ! mon Dieu ! que va-t-il dire ? Il a

Déjà tant de souci ! Qu’est-ce que j’ai fait là ?

Cinq enfants sur les bras ! ce père qui travaille !

Il n’avait pas assez de peine ; il faut que j’aille

Lui donner celle-là de plus. — C’est lui ? — Non. Rien.

— J’ai mal fait. — S’il me bat, je dirai : Tu fais bien.

— Est-ce lui ? — Non. — Tant mieux. — La porte bouge comme

Si l’on entrait. — Mais non. — Voilà-t-il pas, pauvre homme,

Que j’ai peur de le voir rentrer, moi, maintenant ! »

Puis elle demeura pensive et frissonnant,

S’enfonçant par degrés dans son angoisse intime,

Perdue en son souci comme dans un abîme,

N’entendant même plus les bruits extérieurs,

Les cormorans qui vont comme de noirs crieurs,

Et l’onde et la marée et le vent en colère.

La porte tout à coup s’ouvrit, bruyante et claire,

Et fit dans la cabane entrer un rayon blanc,

Et le pêcheur, traînant son filet ruisselant,

Joyeux, parut au seuil, et dit : « C’est la marine. »

X

« C’est toi ! » cria Jeannie, et, contre sa poitrine,

Elle prit son mari comme on prend un amant,

Et lui baisa sa veste avec emportement,

Tandis que le marin disait : « Me voici, femme ! »

Et montrait sur son front qu’éclairait l’âtre en flamme

Son cœur bon et content que Jeannie éclairait.

« Je suis volé, dit-il ; la mer, c’est la forêt.

— Quel temps a-t-il fait ? — Dur. — Et la pêche ? — Mauvaise.

Mais, vois-tu, je t’embrasse, et me voilà bien aise.

Je n’ai rien pris du tout. J’ai troué mon filet.

Le diable était caché dans le vent qui soufflait.

Quelle nuit ! Un moment, dans tout ce tintamarre,

J’ai cru que le bateau se couchait, et l’amarre

A cassé. Qu’as-tu fait, toi, pendant ce temps-là ? »

Jeannie eut un frisson dans l’ombre et se troubla.

« — Moi ? dit-elle. Ah ! mon Dieu ! rien, comme à l’ordinaire.

J’ai cousu. J’écoutais la mer comme un tonnerre,

J’avais peur. — Oui, l’hiver est dur, mais c’est égal. »

Alors, tremblante ainsi que ceux qui font le mal,

Elle dit : « À propos, notre voisine est morte.

C’est hier qu’elle a dû mourir, enfin, n’importe,

Dans la soirée, après que vous fûtes partis.

Elle laisse ses deux enfants, qui sont petits.

L’un s’appelle Guillaume et l’autre Madeleine ;

L’un qui ne marche pas, l’autre qui parle à peine.

La pauvre bonne femme était dans le besoin. »

L’homme prit un air grave, et, jetant dans un coin

Son bonnet de forçat mouillé par la tempête :

— Diable ! diable ! dit-il en se grattant la tête,

Nous avions cinq enfants, cela va faire sept.

Déjà, dans la saison mauvaise, on se passait

De souper quelquefois. Comment allons-nous faire ?

Bah ! tant pis ! ce n’est pas ma faute. C’est l’affaire

Du bon Dieu. Ce sont là des accidents profonds.

Pourquoi donc a-t-il pris leur mère à ces chiffons ?

C’est gros comme le poing. Ces choses-là sont rudes.

Il faut pour les comprendre avoir fait ses études.

Si petits ! on ne peut leur dire : Travaillez.

Femme, va les chercher. S’ils se sont réveillés,

Ils doivent avoir peur tout seuls avec la morte.

C’est la mère, vois-tu, qui frappe à notre porte ;

Ouvrons aux deux enfants. Nous les mêlerons tous.

Cela nous grimpera le soir sur les genoux.

Ils vivront, ils seront frère et sœur des cinq autres.

Quand il verra qu’il faut nourrir avec les nôtres

Cette petite fille et ce petit garçon,

Le bon Dieu nous fera prendre plus de poisson.

Moi, je boirai de l’eau, je ferai double tâche.

C’est dit. Va les chercher. Mais qu’as-tu ? Ça te fâche ?

D’ordinaire, tu cours plus vite que cela.

— Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà !

Pourquoi j’ai choisi ce poème ?

Drame et Solidarité.

C’est le lot de tous les travailleurs de la mer. La lutte interminable de tous les jours avec la houle pour lui arracher la bouchée du pain quotidien pour leurs petits.

Car la mer est cruelle et sans merci. Elle happe ces « travailleurs », les engloutit, privant ainsi les enfants et de leur père et de son affection et de leur subsistance.

« Serais-je de retour ce soir ? » et « A qui sera demain le tour ? », deux questions que chacun de ces pêcheurs pose chaque matin après avoir embrassé femme et enfants.

Et le soir, ce sont les retrouvailles ou les surprises, la joie ou la douleur.

Bien que long, j’ai choisi ce poème non seulement pour son contenu mais pour sa forme théâtralisée avec sa chute finale que j’ai beaucoup aimée. (Z.C)